Vous venez de remporter brillamment l’élection présidentielle du 24 mars 2024. À l’instar de la grande majorité de nos compatriotes, nous avons vibré avec vous lors de la campagne électorale. Nous avons aussi jubilé pendant la proclamation des premiers résultats au soir du 24 mars avant de fêter la victoire sans bavures.
Vous avez fait une campagne électorale avec un programme bien structuré. Nonobstant, nous attirons votre attention sur un certain nombre de questions tirées des recherches que nous menons au sein de nos laboratoires à l’université Gaston Berger.
Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, il est nécessaire d’impulser un sénégalisme dans nos différentes institutions et postures. Le Sénégal est un pays traversé, dans son histoire, par trois grandes références qui ont marqué de manière indélébile nos identités économiques, sociales, culturelles et symboliques. C’est pourquoi chez chaque sénégalais, nous trouvons de la traditionnalité, de l’Islam et de l’occidentalisation. L’astuce, c’est de parvenir à mesurer la proportionnalité de telle référence chez chaque sénégalais avec qui on est en interaction. Cette trilogie identitaire à l’image de Cerbère marque aussi incontestablement nos instituions et, est à la source de beaucoup de conflits. Les exemples de l’héritage et du foncier sont illustratifs. Les tribunaux sont remplis de dossiers d’héritage et de foncier, car en effet, nous avons trois régimes pour chacun de ces deux secteurs, à l’image de beaucoup d’autres : un coutumier, un islamique et un de droit positif. Cependant, dans la réalité, le régime juridique du droit positif est dominant, car c’est lui qui est adopté par l’État central et donc mis en œuvre dans les juridictions chargées de traiter les différends qui peuvent exister. Ainsi, il arrive que des questions d’héritage ou de foncier soient arrangées traditionnellement ou islamiquement et quelques temps après, les tribunaux du droit positif viennent les annuler. Ce qui est à la source de beaucoup de frustrations et de problèmes. Une harmonisation s’impose.
Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, le Sénégal souffre aussi d’institutions copiées de l’Occident (de la France) sans avoir été convenablement adaptées à nos réalités depuis les indépendances. Ce qui fait que depuis lors, nous nous enlisons dans des systèmes qui ne sont pas vraiment les nôtres. Pour exemple, l’école et l’université. En ce qui concerne l’école, la manière dont nous désignons les différents types révèle cette exogénéité. Nous disons en effet, école française ou école arabe. Certains qui cherchent à faire mieux ont créé des franco-arabes. Mais en réalité, il n’y a pas d’école sénégalaise dont la mise en place pourrait permettre définitivement l’adoption des langues nationales comme instruments de communication, de formation et d’éducation. L’occasion s’offre, par la même occasion, pour intégrer dans les curricula les matières religieuses et aux premiers chefs le Coran et la Bible. Ce qui ferait que dans le cursus scolaire l’apprentissage du Coran pourrait y être intégré de telle sorte qu’en atteignant un certain niveau, l’élève l’aura mémorisé. Ce qui constitue une opportunité pour venir, partiellement, à bout du problème crucial et récurent des daaras.
Pour les universités, il est temps d’intégrer les savoirs locaux dans les curricula. Ces savoirs locaux qui constituent une bonne partie de notre patrimoine culturel sont aussi consignés dans nos langues nationales avec l’aide de la transcription de l’alphabet arabe dans ce qui est appelé communément : le wolofal, le poularal, le mandingal, le séréral, le diolalal, etc.
D’ailleurs, la mise en place d’académie-s nationale-s pour les langues nationales constitue une/des instance-s pour la solidification et l’efficacité de leur fertilisation, pérennisation et valorisation.
Depuis le phénomène des maîtrisards chômeurs des années 80, toutes les politiques publiques en matière d’emploi se sont soldées par des échecs entraînant, en partie, une débandade migratoire devenue insoutenable. La mise en place d’une chaîne d’intelligibilité regroupant tous les actants (les pouvoirs publics, les migrants, les chefs d’entreprises, les artisans, les syndicats de l’enseignement supérieur (personnels d’enseignement et de recherche, personnels administratifs, techniques et de service et étudiants), la société civile, les familles, les piroguiers, les pays d’accueil, etc.) pourrait constituer une des ébauches de solution à cette crise.
Il s’avère en même temps, nécessaire de renforcer la dynamique d’inflexion des programmes universitaires vers une employabilité au profit des étudiants et des non étudiants mais aussi par une plus grande interaction entre le monde universitaire et le monde socio-économique surtout les secteurs artisanal et
informel qui regorgent de potentialités pour la création d’emplois viables et pérennes.
Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, sur la même lancée, la constitution sénégalaise n’est pas réellement sénégalaise. Une constitution qui partirait de la base pourrait contribuer à la stabilité de ce pays. Sa réécriture partirait des conseils de quartiers. Ainsi chaque ville, chaque département et chaque région ferait sa synthèse pour qu’ensuite une équipe d’experts (juristes, économistes, sociologues, historiens, archéologues, anthropologues, géographes, littéraires, religieux, société civile, etc.) se charge de la rédaction finale.
Comme de coutume dans notre cher pays, nous vous disons Bismilahi Rahmani Rahimi et prions Dieu pour que vous en sortirez avec Alhamdoulilahi Rabbil Alamina. Nous avons tous besoin de l’aide divine car une énorme tâche vous attend. Le Sénégal comporte ce paradoxe d’être un des pays les plus riches en ressources mais dont les populations, en majorité, font partie des plus pauvres de la planète.
En espérant attirer vos attentions sur ces questions tout en évitant d’être long, nous vous transmettons, Monsieur le Président et Monsieur le Premier Ministre nos vives félicitations et nos respectueuses salutations.
Pr Ibrahima BAO Socio-anthropologue à l’Université Gaston Berger Directeur du Laboratoire pour l’étude des Urgences, des Innovations et des Mécanismes du Changement Social (URIC). Directeur de Publication de la Revue Sénégalaise de Sociologie (R2S). Président de la Maison du Fleuve Sénégal (MDFS)
Email : ibrahima.bao@ugb.edu.sn Tél : 00 221 77 120 86 86