L’assainissement public relève au premier chef de la responsabilité de l’État. Il constitue le domaine d’intervention privilégié d’organismes publics comme la SONAGED et l’ONAS. Ce secteur vital requiert des moyens considérables, car sa négligence peut entraîner des conséquences graves sur la santé et la salubrité publiques. L’État, conscient de cet enjeu, s’est donné les moyens d’assurer un environnement sain aux citoyens, du moins en apparence.
En réalité, la forme la plus insidieuse de pollution reste sous-estimée, ignorée ou peut-être volontairement laissée de côté. Ces déchets particuliers ne jonchent pas nos rues, mais s’infiltrent dans nos vies : ils polluent l’air de nos écrans et de nos ondes. Ils n’épargnent personne : ni vieillard, ni enfant, ni homme, ni femme. Et tous en subissent l’odeur nauséabonde.
Leur diffusion est facile, constante, presque banale : ils passent à la télé, occupent toutes les fréquences radio, inondent l’espace numérique. Sous forme d’injures, de calomnies, d’atteintes à l’honneur, ces paroles toxiques visent souvent une seule et même cible. Et, comble de l’ironie, c’est bien cette cible qui se retrouve à son tour clouée au pilori par un groupuscule qui semble hors de portée.
La victime est désignée comme coupable par un conglomérat de donneurs de leçons, autoproclamés défenseurs de la bienséance et gardiens des valeurs de liberté, épaulés par une presse également donneuse de leçons. La morale s’est inversée : l’insulte est tolérée, voire applaudie, tandis que celui qui s’en offusque est taxé d’ennemi des libertés. Désormais, la liberté d’expression devient un prétexte à l’impunité verbale, illimitée, perverse, malsaine.
Tout comme les bactéries qui menacent la santé publique, ces tout nouveaux militants de la liberté se nourrissent de la haine qu’ils propagent. À bien des égards, ils sont l’équivalent symbolique des déchets physiques traités par la SONAGED ou l’ONAS. Et la question s’impose : qui prend en charge cette nouvelle forme d’ordures ?
La question mérite d’être posée tant le vide est abyssal. La virulence des discours toxiques laisse des blessures profondes, et chacun y est exposé, à toute heure. De 7 h à minuit, un enfant peut tomber, sans filtre, sur des propos d’une impudeur inouïe. Aucune barrière ne le protège. Il n’existe plus de tri; tout se déverse impunément dans l’espace public. C’est un phénomène alarmant surtout dans une société qui prétend faire de la pudeur et de la retenue des valeurs cardinales.
Comment expliquer qu’une bande qui s’affirme comme rempart contre certaines pratiques semble défendre l’injure et la calomnie ? Qu’une presse si prompte à donner des leçons soit devenue le principal vecteur de cette pollution verbale ? Qu’est-ce qui a changé pour que les institutions jadis si promptes à punir ferment les yeux sur ce déferlement d’injures et de calomnies ? Pourquoi le régime actuel, arrivé au pouvoir avec un discours de rupture, tarde-t-il autant à assainir l’espace public ? Pourquoi tolère-t-il ces dérapages, alors même qu’il dispose des moyens politiques, légaux et institutionnels pour y mettre un terme ?
Il est en effet aussi consternant qu’intrigant de voir les défenseurs autoproclamés des bonnes mœurs s’afficher aux côtés de ceux qui revendiquent avec fierté le « courage » d’insulter publiquement. En réalité, leur présence, loin d’être anodine, révèle le vrai visage d’un système où l’on peut défendre une chose un jour et son contraire le lendemain, selon ses accointances politiques. Les valeurs semblent être à géométrie variable. Les principes ne sont plus des repères, mais des paravents, aussi fugaces que mouvants. Ils ne servent qu’à préserver une image, entretenir des privilèges ou défendre une position de pouvoir. Et quand ces privilèges sont menacés, on invoque une forme dévoyée de liberté d’expression, dont les seuls fondements sont l’injure et la diffamation.
Pourtant, aussi choquante soit-elle, cette posture des gardiens autoproclamés de la bienséance n’est rien à côté de l’inaction du régime en place. Ce régime auquel le peuple a tout donné, avec l’espoir sincère qu’il remettrait ce pays sur les rails, y compris d’un point de vue immatériel et moral, ne semble pas réaliser à quel point les Sénégalais en ont assez de subir un espace audiovisuel indigent, où les tribunes se distribuent au rythme des invectives. Ils veulent de l’information, pas de la propagande ou de la calomnie. Ils subissent en permanence la propagande d’un système qu’on croyait agonisant, mais bien maintenu à flot par la passivité d’un régime qui avait pourtant promis sa perte. Cette attitude, suicidaire sur le plan politique, est encore plus grave sous d’autres rapports.
Les enfants, les adolescents, les jeunes citoyens sont exposés chaque jour à une impudeur banalisée, à des grossièretés en pleine heure de grande écoute, à des débats stériles et abrutissants. L’espace familial est infiltré par les propos abjects de chroniqueurs incultes qui distribuent impunément la mauvaise parole. À force de confondre liberté et laxisme, on a substitué l’anarchie à la censure, sans construire de véritable cadre protecteur.
On peut dénoncer les tares causées par ces nouvelles formes de déchets, mais il est tout aussi inacceptable que ceux qui en détiennent le remède s’abstiennent de l’administrer. Quand le peuple te confie l’exécutif, te donne le pouvoir de nommer, de définir une politique pénale, de doter les organes de régulation des moyens nécessaires, et t’accorde en plus une majorité parlementaire suffisante pour légiférer, toute inaction devient complicité.
Au-delà de cette pollution sonore et morale de notre espace public, les Sénégalais, qui ont librement choisi leurs dirigeants, méritent un minimum de respect à travers ceux qui les représentent. Loin de vouloir sacraliser certaines fonctions, il s’agit de préserver le symbole qu’elles incarnent. Ce crédit, ce respect et ce prestige que le peuple a choisi d’accorder à ceux qui le représentent ne peuvent être confisqués par des politiciens en déroute, des chroniqueurs enragés, une société civile opportuniste ou une presse alimentaire.
Le peuple sénégalais est en droit d’exiger une information éclairée et un espace public épuré, où les contenus diffusés aux heures de grande audience puissent être suivis en famille, sans qu’il soit nécessaire de soustraire les enfants à cette propagande vulgaire et abrutissante.
Par Bassirou Mbaye